Jean Cavalier (tome 2) by Eugène Sue

Jean Cavalier (tome 2) by Eugène Sue

Auteur:Eugène Sue [Sue, Eugène]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Historique, Société, Littérature française, 19e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2023-11-14T00:00:00+00:00


XXIX

L’Intendant

M. Nicolas Lamoignon de Bâville, ce magistrat que les préjugés populaires représentaient comme si terrible, fut un des hommes les plus remarquables du XVIIe siècle.

Depuis vingt années il gouvernait souverainement le Languedoc, après avoir été intendant de Pau, de Montauban et de Poitiers.

Son génie vaste, élevé, lumineux, sa volonté de fer, la haute et inflexible logique de ses vues politiques, l’infatigable activité de son esprit, son courage, sa pénétration, sa redoutable causticité, sa puissance de travail, effrayèrent toujours si fort les ministres de Louis XIV, que jamais ils ne permirent à cet homme éminent de s’approcher de la cour. Ils craignaient trop qu’il n’y prît racine, et que s’y élevant bientôt rapidement, il ne les étouffât tous sous son ombre.

Ils préféraient lui laisser une telle autorité dans sa généralité, qu’on l’y surnommait le roi du Languedoc.

« Il n’est pas fait pour être intendant de finances et de justice, mais bien général d’armée, car il est toujours prêt et jamais pressé, » – disait de lui M. le maréchal de Villars.

On ne peut se figurer d’ailleurs de quels immenses pouvoirs un intendant de province était alors revêtu.

Commissaire et conseiller du roi, intendant de justice, police et finances, il pouvait informer contre les membres des cours judiciaires, contre le clergé, contre les maires et contre les échevins. Il convoquait les assemblées des villes et du peuple pour changer les magistrats municipaux qui lui semblaient condamnables.

Chargé de la surveillance des gens de guerre, il avait à ses ordres les garnisons, les milices, les prévôts, les baillis, les sénéchaux ; il faisait le procès aux rebelles ; il assistait aux séances du gouverneur de la province avec voix délibérative ; il n’était enfin justiciable de ses actes que par devant le conseil du roi.

On conçoit qu’une telle puissance est bien près de l’arbitraire le plus despotique, lorsque, dans un temps de troubles, elle se trouve concentrée entre les mains d’un homme aussi sûr de ses forces et de l’assentiment de la cour que l’était M. de Bâville.

L’hôtel de l’intendance de la généralité de Montpellier était, on l’a dit, bâti sur la place de la Canourgue.

Cet édifice imposant, construit en pierres de taille, était, comme presque toutes les maisons de la ville, surmonté d’un belvédère en terrasse, sur lequel on allait dans l’été respirer la fraîcheur d’une brise appelée Vent-Corbin, qui s’élève ordinairement vers neuf heures du soir.

Deux factionnaires, appartenant à la compagnie des fusiliers de l’intendant, vêtus de justaucorps gris-blanc à collets rouges, montaient la garde devant l’hôtel.

L’habitation de M. de Bâville avait un aspect sévère et grandiose. Un large escalier en marbre du Languedoc, dont la haute coupole était peinte en camaïeu, à la manière de Devitt, conduisait à une enfilade de huit salons, aboutissant, d’un côté à une longue galerie, de l’autre à une vaste bibliothèque qui communiquait à une chapelle.

On ne voyait dans ces immenses appartements ni tentures brochées, ni crépines d’or ; selon les idées de M. de Bâville, ce luxe étincelant n’eût pas été de mise dans la demeure d’un magistrat ; tout devait y être sérieux, imposant comme son caractère.



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