Un enfant trop curieux by Joseph Joffo

Auteur:Joseph Joffo [Joffo, Joseph]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2841143562
Éditeur: Ramsay
Publié: 1998-01-31T22:00:00+00:00

Chapitre 8

Au fond de la cave qui lui servait de prison, Antoine Kamoul eut droit, lui aussi, à un menu spécial pour le réveillon de Noël : cuisse de poulet et châtaignes cuites sous la cendre.

— Noël aux tisons, Pâques au balcon, plaisanta bêtement le Bûcheron tout en lui servant sa purée de marrons.

À force de tourner en rond dans cette ferme isolée à la lisière de la forêt de Bagnoles-de-l’Orne, les trois complices de Gavin commençaient à régresser sérieusement. Le Niçois, passe encore. Il faisait tous les jours trois kilomètres à pied jusqu’au village le plus proche, où il retrouvait le propriétaire de la ferme, maintenant retraité. Le père François avait tout du père tranquille à présent, mais ils en avaient fait des vertes et des pas mûres ensemble, dans le bon vieux temps. Les gens du village avaient l’habitude de voir Lulu passer de courtes vacances en Normandie. Après un après-midi passé à taper le carton avec eux, il faisait quelques courses et rentrait à la nuit tombante. Quant aux deux autres, pas question qu’ils montrent le bout de leur nez. On devait le croire seul à la Ballue. Les jours passaient et leur humeur se dégradait. L’action leur manquait, et les femmes aussi.

— On va rester encore longtemps dans ce monastère ? s’énervait Dupas en aiguisant son couteau pour la millième fois.

— Aussi longtemps qu’il le faudra. Une rançon pareille, ça ne s’encaisse pas en claquant des doigts. Il ne s’agit pas de tout perdre au moment de toucher au but. Gavin est prudent. Il m’écoute. Le temps joue pour nous. Il fait monter les enchères. Tu as entendu les infos. Les journalistes se font un plaisir d’asticoter les flics parce qu’ils n’ont pas l’ombre d’un indice.

La radio restait allumée du matin au soir. Quand il rentrait, Lucien devait tout reprendre en mains : cuisine, arbitrage des querelles, direction des troupes. Laquelle consistait surtout à faire miroiter le nombre faramineux de zéros de la rançon dont ils auraient leur part.

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour gagner sa vie et nourrir sa famille, soupirait encore Dupas qui n’avait jamais réussi à garder une femme plus de six mois.

Lucien commençait à comprendre pourquoi. Par moments, il avait l’impression de diriger un camp de scouts particulièrement méchants et mal embouchés. Si Gavin n’en finissait pas rapidement, il ne pourrait plus tenir ses deux acolytes. Le plus clair de la journée se passait à lire les journaux, jouer aux cartes et manger. On avait frôlé la mutinerie quand ils avaient découvert qu’il n’y avait pas la télévision à la ferme.

Le prisonnier était un peu affaibli par ses sept jours de détention et la souffrance due à son doigt amputé, mais il n’avait rien perdu de ses facultés mentales. Depuis la visite du chef de la bande, il avait repris confiance. En dépit du linge noué sur le micro pour rendre le timbre méconnaissable, la voix lui avait semblé cultivée et l’homme intelligent. Rien à voir avec les trois sinistres brutes qui se chargeaient des basses œuvres et lui servaient de geôliers.

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