Un ailleurs à soi by Emmelie Prophète

Un ailleurs à soi by Emmelie Prophète

Auteur:Emmelie Prophète
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Mémoire d'encrier
Publié: 2018-08-31T00:00:00+00:00


Julien souffrait d’insomnie depuis des années. Il dormait deux ou trois heures par jour, d’un sommeil entrecoupé. Il avait essayé toutes les potions sans résultat. Être en activité de midi jusqu’à quelquefois trois heures du matin ne suffisait pas à le fatiguer assez pour dormir profondément et longtemps. Il aimait son travail au Ayizan. Il était content de préparer toutes ces bouteilles aux goûts différents, d’avoir un petit jardin au restaurant même. Il faisait l’originalité de l’endroit. Les bouteilles, toutes blanches, étaient rangées derrière le bar et à l’intérieur macéraient des feuilles et des racines qui intriguaient locaux et étrangers. Quelquefois Julien disait que cette boisson ne serait prête que dans six mois, qu’en attendant, le client pouvait aller vers un whisky ou un rhum. En général, les clients revenaient. Ils aimaient discuter avec Julien. Il pouvait expliquer les vertus des plantes qu’il utilisait et inventait plein d’histoires concernant des expériences rapportées par ceux qui y avaient goûté.

Comme Lucie, Julien n’habitait pas loin du Ayizan, il portait de grandes lunettes noires quand il venait au Ayizan vers midi, ses yeux ne supportaient pas la lumière. C’était une créature de la nuit. Les loas, racontait-il, l’avaient enveloppé de noir quand il est né. Il aimait se vêtir de blanc. Il fallait du blanc sur le noir qu’il portait constamment et naturellement. Quentin se moquait gentiment de lui quand il racontait ça, mais il était tellement sérieux que le patron finissait par laisser tomber.

Loulouse, la femme de Julien, écoulait aussi les mixtures de son mari. Elle avait un commerce sur le trottoir à quelques rues du Ayizan. Elle vendait de la nourriture et des boissons fraîches dans un vieux congélateur, incrusté dans du béton et fermé à clé le soir. La journée, il y avait un attroupement autour du vieux congélateur et le soir on découvrait toute son étrangeté. En fait, il marquait un territoire, en dessous d’un manguier qui étendait généreusement ses branches et donnait de l’ombre. Le congélateur signifiait que cette place était déjà occupée. Il ne serait pas fermé que personne n’oserait venir l’ouvrir. Il était gardé selon la rumeur par des esprits qui garantissaient la prospérité de ce commerce envié de tout le quartier. Loulouse servait une centaine de repas par jour et engageait deux femmes et un homme à tout faire. Elle commençait à six heures du matin, tout était préparé sur place. Le repas était prêt à midi pile et elle écoulait tout. Elle refusait de vendre de l’alcool le matin. Elle ne voulait pas que des ivrognes viennent la contrarier. L’après-midi, c’était une autre clientèle, des gars revenant des chantiers, des hommes à bout de force qui cherchaient à se saouler pour tenir le coup. Loulouse voulait arrêter de vendre ces potions, elle estimait gagner assez avec la nourriture et les boissons fraîches, mais Julien lui avait dit que c’était une recommandation des esprits, que ce commerce lui permettait de rester en contact avec les âmes en dérive.

Julien voulait continuer à rester en paix avec la terre, avec lui-même et avec les loas.



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