Sur le chemin de la justice by Laberge Rosette

Auteur:Laberge, Rosette [Laberge, Rosette]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
ISBN: 9782895851448
Éditeur: LER (Les Editeurs Réunis)
Publié: 2012-10-23T22:00:00+00:00

Chapitre 23

— Va chercher deux beaux navets, quelques oignons et un gros chou dans le caveau, demande Magdelon à Louis Joseph. On va faire une surprise à Louise et préparer un gros bouilli pour le souper.

— J'y vais tout de suite, maman, répond le garçon d'une voix enjouée. Mais est-ce que je serai obligé de manger du navet? Vous savez bien que je déteste le navet de toutes mes forces! Beurk!

À voir la figure que fait son fils, Magdelon ne peut s'empêcher de sourire. Comment pourrait-elle oublier qu'il déteste le navet? Il n'était qu'un bébé et, chaque fois qu'elle lui en présentait, il le recrachait. Même le plus petit morceau bien mélangé à sa viande et à d'autres légumes lui faisait lever le cœur. Et ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé de lui faire aimer cet aliment. À mesure que Louis Joseph a grandi, son dédain du navet est allé en augmentant. Magdelon a eu beau lui servir les plus grandes leçons de vie, lui dire à quel point il est privilégié de manger trois repas par jour, que des tas de garçons de son âge prendraient volontiers sa place, qu'ils accepteraient même de manger du navet à tous les repas, rien n'y a fait.

Mais Magdelon est bien placée pour comprendre son fils. D'aussi loin qu'elle se souvienne, jamais elle n'a aimé le boudin. Elle déteste cela à un point tel que, dès qu'elle entend le premier cri lâché par un cochon sur le point de mourir, elle a déjà le goût du sang coagulé sur les lèvres, ce qui lui donne mal au cœur. D'ailleurs, quand elle était enfant, son dégoût pour le boudin lui a valu de sauter plusieurs repas. Ses parents étaient de nature plutôt conciliante, mais quand l'un de leurs enfants levait le nez sur un mets par pur caprice, enfin c'est ce qu'ils croyaient, ils se montraient impitoyables. La règle était très claire : vous mangez ce qu'il y a dans votre assiette, et si cela ne vous convient pas, vous mangerez plus au prochain repas. Et bien sûr, ils n'avaient alors droit à rien d'autre, pas même à un petit quignon de pain ou à un verre de lait. « Heureusement qu'on ne faisait pas boucherie trop souvent, songe Magdelon, sinon je serais devenue aussi maigre qu'une branche de peuplier dégarnie de ses feuilles. »

Les repas de boudin ont tellement marqué Magdelon qu'elle s'est juré d'être moins sévère avec ses enfants. Heureusement, malgré sa tolérance, aucun d'eux ne profite de sa bonté à outrance. Chacun déteste un aliment ou deux, mais c'est tout. Elle n'a jamais forcé ses enfants à manger quelque chose qu'ils n'aiment pas. Sa règle : ils doivent simplement le mettre de côté dans leur assiette. Il faut dire que Louise leur facilite la vie sur ce plan. Comme elle connaît les goûts de chacun, elle ne fait pas exprès de remplir leurs assiettes de choses qu'ils n'aiment pas. Au contraire, elle se fait un réel plaisir de faire un premier tri.

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