On peut-tu rester amis? by Marie-Eve Leclerc-Dion

On peut-tu rester amis? by Marie-Eve Leclerc-Dion

Auteur:Marie-Eve Leclerc-Dion
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2019-03-11T00:00:00+00:00


L’angoissée des angoissées

Il existe une période avant l’Angoisse (av. l’A.), et une après (apr. l’A.). L’Angoisse étant un véritable pivot. Ceux qui ont toujours la chance de vivre av. l’A. sont enviés par les autres d’être encore préservés dans toute leur innocence. Car après, plus rien n’est pareil. On a beau faire semblant, maintenant on sait.

Philippe m’a convaincue d’aller au sans rendez-vous. Il espérait peut-être pouvoir s’éviter de futures invasions nocturnes. La salle d’attente était bondée et les magazines, périmés. Tout le monde y allait de sa moue la plus piteuse dans l’espoir d’être choisi plus rapidement, même si dans les faits, il n’y a aucun triage en clinique : premier arrivé, premier servi. Les soupirs se mêlaient aux toux creuses, aux toux sèches et aux pleurs stridents des enfants. Et puis plus rien : dès que le médecin faisait son apparition dans la pièce, la foule retenait son souffle le temps d’entendre le nom du prochain secouru. À peine avait-il tourné les talons que le brouhaha recommençait de plus belle.

Le temps prenait tout son temps pour passer. Chaque minute durait au moins quatre-vingt-dix secondes. Quand j’ai ainsi envie d’appuyer sur fast-forward pour sauter un chapitre de ma vie, je me demande toujours si je ne commets pas une erreur. Si un jour, je ne serai pas vieille et seule, dans une chambre où on viendra me porter des boîtes de chocolats assortis bon marché, et qu’alors, je serai prête à vendre mon âme pour retourner à ce moment précis, dans cette salle d’attente débordante, pour vivre ne serait-ce qu’un tout petit fragment de ma vingtaine.

— Vas-y don’, leur demander si c’est bientôt ton tour, m’a encouragée Philippe en m’entendant respirer comme si un médecin avait déjà son stéthoscope de braqué sur mon cœur.

— Je peux pas.

Je lui ai montré du doigt la pancarte « Prière de ne pas nous demander le temps d’attente » au-dessus de la tête de la réceptionniste.

— Ben là, demande-le gentiment.

— Ben si tout le monde commence à faire ça…

— C’est beau : je vais y aller, moi, d’abord.

Je lui ai pointé la deuxième pancarte, celle qui disait : « VIOLENCE. AGRESSIVITÉ. Dans nos bureaux, c’est tolérance zéro. » Il s’est rassis aussitôt.

Près de trois heures plus tard, j’ai entendu mon nom. Un vieil homme tout de blanc vêtu m’attendait à la réception. Son visage était si livide qu’il semblait être le prolongement de son sarrau. Je l’imaginais très bien accrocher son visage sur sa patère, une fois son quart de travail terminé. J’ai suivi le fantôme jusqu’à son bureau. Il m’a fait signe de prendre place sur la chaise devant lui pendant qu’il consultait mon dossier pour tenter d’y déchiffrer ce que ses collègues avaient bien pu noter d’important lors de mes précédentes visites.

— Que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? m’a-t-il finalement demandé, sans même relever la tête.

— Eh bien… euh… j’ai commencé à faire de l’angoisse récemment.

— Vous voulez dire de l’anxiété.

— Non non, c’est bien de l’angoisse.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que c’est de l’angoisse ?

— J’ai vérifié sur Internet et j’ai tous les symptômes de l’angoisse.



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