Elias Portolu by Grazia Deledda

Elias Portolu by Grazia Deledda

Auteur:Grazia Deledda [Deledda, Grazia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Amour, Société, Littérature italienne, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2024-02-09T00:00:00+00:00


VII

Pietro rentra vers les deux heures du matin, ivre à ne plus tenir sur ses jambes. Élias lui ouvrit la porte cochère et alla se coucher ; mais, dès avant le jour, il était debout ; et l’aube se montrait à peine lorsqu’il repartit pour la bergerie.

C’était une aube triste et cendrée, mais qui n’était pas froide. Le ciel s’était couvert d’un nuage unique, fuligineux et immobile, qui pesait comme une voûte de pierre grise sur la campagne morte. Élias chevauchait, seul, perdu dans ce vaste silence de mort. Pas une voix ne s’entendait, pas une feuille ne bougeait ; les ruisseaux eux-mêmes, au bord des sentiers, coulaient verdâtres, froids, silencieux. Il avait sur le visage la couleur de ce ciel livide, et ses yeux cernés étaient verdâtres, froids et tristes comme l’eau des ruisseaux.

Il lui semblait qu’il sortait d’un rêve divin et hideux tout ensemble ; et un monstre de félicité et d’angoisse lui déchirait le cœur. Cette félicité, si l’on pouvait appeler cela de la félicité, n’allait jamais sans une inséparable sensation d’angoisse ; et, aux moments – ces moments-là étaient les plus nombreux – où le remords du crime commis prévalait, l’angoisse devenait un martyre.

La partie bonne et croyante de son âme s’était réveillée tout d’un coup, dans cette mystérieuse et menaçante aube de carême ; et elle reculait, et elle s’étonnait, et elle s’épouvantait devant l’horrible réalité du fait accompli.

« Non, ce n’est pas possible ! J’ai eu un cauchemar ! pensait-il en crispant sur la bride ses doigts contractés par la terreur. Oui, oui, un cauchemar ! N’ai-je pas eu cent fois des cauchemars pareils, au bord de l’Isalle et dans la tanca ?… Mais non, non, non ! Que te dis-tu à toi-même, Élias ? Tu es un misérable, un fou ; tu es le plus vil, le plus abject des hommes ! »

Et, tandis qu’il s’adressait à lui-même ces reproches, il retombait insensiblement dans le souvenir ; et tous ses membres tressaillaient de volupté, son visage s’éclairait. Mais, soudain, ce visage redevenait plus ténébreux qu’auparavant, un flot de honte et de remords inondait toutes ses veines ; et de nouveau la terreur l’assaillait, jointe à une envie folle de se frapper, de se souffleter, de se mordre les poings. Et les injures recommençaient : « Tu es un lâche, un misérable, un fou ! Ah ! Élias, rebut du bagne, ta mère, ton père, tes frères pouvaient-ils attendre de toi autre chose ? Tu as souillé ta propre maison, tu as trahi ton frère, ta mère, toi-même ! Caïn ! Judas ! Lâche ! Misérable ! Ordure ! Que vas-tu faire, maintenant ? Te reste-t-il autre chose à faire que de te donner un coup de poignard dans le cœur ? » Et ensuite il retombait dans le souvenir ; et il sentait que dorénavant il aimait Maddalena jusqu’à la furie et qu’à la première occasion il faillirait encore. Et, à cette pensée, ses cheveux se dressaient d’horreur.

Ce fut ainsi qu’il fit le trajet.



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